Quand se faire opérer du pied ou de la cheville ?

Quels symptômes doivent mener à une intervention chirurgicale du pied ou de la cheville ? Quels sont les symptômes à ne pas prendre en compte pour se faire opérer ?

La chirurgie de correction des déformations de l’avant-pied a traditionnellement mauvaise réputation, en raison des douleurs péri-opératoires, des imperfections chirurgicales, des séquelles et du risque de récidive. Une grande partie de ces échecs est liée non pas à la réalisation technique, mais à des erreurs dans l’indication chirurgicale. En effet, devant un patient, il faut bien analyser la nature de la plainte et des attentes afin de proposer un geste de correction adapté. Ainsi il faut savoir refuser d’opérer un patient harcelant sans symptômes, pour le protéger contre lui-même.
Le travail du chirurgien consiste, certes, à réaliser une opération chirurgicale techniquement parfaite, mais surtout à identifier par les bons symptômes les patients qui tireront bénéfice de leur intervention.

Les symptômes à prendre en compte pour se faire opérer du pied et/ou de la cheville

En présence d’une déformation visible, seuls trois paramètres peuvent mener à une proposition chirurgicale. Il s’agit exclusivement de la douleur, de la gêne au chaussage et du handicap dans la vie quotidienne. L’évaluation de ces symptômes est difficile car elle doit tenir compte de leur subjectivité.

  • La douleur peut en effet être décrite aux extrêmes allant de la crise occasionnelle, aux douleurs permanentes et invalidantes.
  • La gêne au chaussage peut être simplement temporaire lors du port de chaussures étroites à l’occasion d’une soirée, ou bien vécue comme un marathon sans fin lors de tentatives d’achat d’une nouvelle paire de chaussures.
  • Le handicap ressenti dans la vie quotidienne renseigne de façon plus objective sur le retentissement de la pathologie, qui peut par exemple empêcher le patient d’accompagner ses proches dans des activités sociales et ludiques, par peur d’être à la traîne, et constituant une souffrance morale. Le risque de désocialisation est réel chez les personnes âgées.

L’analyse du chirurgien se base alors sur l’évaluation de ces paramètres. S’il est capable d’effacer les symptômes invoqués, il proposera une intervention. A l’inverse si celle-ci n’est pas à même de les effacer, il est de sa responsabilité de ne pas la proposer. En effet l’objectif n’est pas de restituer un pied « normal » mais un pied fonctionnel, c’est à dire capable d’assurer la fonction désirée.

Les symptômes à ne pas prendre en compte en chirurgie du pied et/ou de la cheville

Certains paramètres peuvent invalider la décision d’une intervention, en particulier s’ils sont isolés des critères précédents.

La chirurgie dite préventive

Il ne faut pas se faire opérer en l’absence de symptômes sous prétexte que ceux-ci pourraient apparaître un jour. Le chirurgien doit résister à la longue et fastidieuse litanie de l’énumération des ascendants victimes du même mal : la sœur, la mère, la grand-mère… Ainsi, le patient imagine que son destin est fixé de façon irréversible… Il doit gérer ce stress, et bien comprendre que son pied ne va pas obligatoirement se déformer avec le temps. Si une évolution défavorable survient, elle ne se fera pas d’un coup, et le patient ne se réveillera pas un matin avec des pieds de sorcière. Opérer un patient sans symptôme expose au risque de créer des séquelles douloureuses irréversibles, dans la mesure où l’on change une architecture qui convenait.

Cette position doit être modérée cependant chez un patient à risque (exemple : diabète) dont la déformation expose à des complications sévères. Cette situation doit-être prise en compte même si les symptômes sont peu intenses. Ils peuvent l’être d’autant moins qu’une atteinte neurologique associée les masque.

La chirurgie esthétique

Ce type de demande lors de la consultation intervient de façon plus ou moins apparente et sincère. Si elle doit être prise en compte sans exercer de jugement de valeur, la dimension esthétique ne doit en rien constituer la motivation principale et/ou exclusive à la chirurgie. Ainsi elle n’intervient pas dans la prise de décision. Il faut encore rappeler que la chirurgie, par le biais des coupes osseuses réalisées, change l’architecture du pied. C’est ainsi le cas typiquement pour l’hallux valgus. Si le pied au départ est indolore, le changement d’architecture présente de gros risques de générer des douleurs irréversibles. On comprend néanmoins que la notion de gêne au chaussage comporte une dimension esthétique mais c’est la première qui constitue le symptôme déclenche la décision d’intervention.

Autres critères à évaluer au cas par cas

Ils ne constituent pas de véritables contre-indications mais leur existence risque de produire des suites opératoires plus difficiles.

Les plaintes exagérées

« Je vis avec des pansements depuis l’âge de 12 ans », ou bien « j’attends l’opération depuis l’enfance » sont des exemples de propos qui doivent rendre très prudents dans la proposition chirurgicale. Le chirurgien doit décoder ce que le patient exprime et qui ne se résume probablement pas à la seule déformation du pied.

La plainte reliée aux conditions de travail

Dans ce cas, le discours du patient est essentiellement axé sur ses doléances vis-à-vis des contraintes au travail. Il peut s’agir de l’obligation de porter des chaussures de sécurité, de la pénibilité des horaires…) Il faut détecter ces situations car le perçu du résultat fonctionnel ne doit jamais dépendre d’enjeux professionnels que la lame du bistouri ne saurait pas faire disparaître.

Les « a priori » inadaptés, voire totalement faux

L’utilisation de vis ou autres types d’implants pour fixer les os lors de la chirurgie est parfois vécue par le patient comme un élément de gravité. Il s’agit pourtant d’une situation banale mais indispensable au chirurgien pour diminuer les risques d’échec. « Avoir une vis dans le pied ” devient parfois psychologiquement insurmontable pour certains malades. Pourtant, la présence de corps étrangers est mieux vécue lorsqu’il s’agit de prothèses mammaires, d’implants dentaires, de stérilet, ou de piercing.

D’autres voient la chirurgie percutanée comme un bien de consommation, un accessoire de mode, plus que comme un acte chirurgical et affabulent sur des possibilités magiques d’actes « au laser » qui n’existent pas. Le décalage entre le fantasme et la réalité post-opératoire est lourd de conséquences. Lors de l’étape préopératoire, si le praticien ne parvient pas à corriger les fausses croyances, la chirurgie paraît compromise.

Les pieds interviennent de façon évidente dans l’équilibre postural du corps. Cependant le chirurgien ne doit pas sous-entendre par omission que la guérison du pied entraînera de façon automatique la disparition de douleurs du genou ou de la hanche…La guérison du pied en particulier par la normalisation des pressions plantaires va améliorer la chaîne posturale, participer à l’équilibre du corps. Cela est perceptible en particulier lors de l’exercice de certaines activités comme le yoga, elle ne peut cependant pas effacer dans ce domaine toutes les conséquences du vieillissement.

La pathologie comporte également un caractère évolutif que le patient doit comprendre. Toute pathologie évolue avec l’âge et il est impossible de deviner à l’avance quelles seront les conséquences de celle-ci, la forme de dégradation observée. En effet on n peux pas prévoir la manière dont le patient va vieillir, et d’ailleurs s’il va vieillir. S’agira t’il d’une rétraction avec enraidissement généralisé de l’ensemble du corps, au contraire d’un relâchement tissulaire global se traduisant par un étalement du pied ? On ne peut pas se débarrasser de tous ses problèmes futurs par une intervention, ainsi la prudence doit être de mise.

Vu de l’extérieur, toute “bosse, oignon” apparaissant dans les années qui suivent une intervention est interprétée comme une récidive (« ça revient »). Il s‘agit d’une faute d’analyse ; de très nombreuses autres causes pathologiques accompagnant notre vieillissement sont possiblement en cause. L’exemple le plus typique est la banale arthrose de la base du gros orteil, source de production d’os anarchique, lesostéophytes, ressemblant à la bosse de l’hallux valgus sans avoir aucun rapport avec lui.

La prudence doit également être de mise devant une demande injustifiée d’intervention bilatérale, sans écouter les arguments qui plaident contre.

En somme, devant des « a priori » erronés que le chirurgien n’arrive pas à faire évoluer, quand un détail insignifiant de la procédure occulte tout le champ de conscience, sage est le renoncement.

Les exigences extravagantes en matière de chaussage

Il ne s’agit pas d’exercer un jugement de valeur sur la nature du désir, mais d’évaluer les attentes réelles du patient pour pouvoir alors estimer si l’on est capable ou pas d’y répondre. Plus le patient est exigeant en termes de chaussage, plus il sera difficile d’atteindre ces objectifs, et donc plus le risque de déception sera important. Ces propos peuvent être illustré par la prise en charge d’une hôtesse de l’air. Il n’est pas aisé de pouvoir rapidement retravailler dans des escarpins 12 heures d’affilée, debout, dans une atmosphère pressurisée. La demande de cette catégorie professionnelle est parfaitement justifiée mais les difficultés de la prise en charge doivent être bien verbalisées.

L’inobservance post-opératoire prévisible

Il s’agit de l’incapacité du patient à suivre les prescriptions, respecter les consignes d’appui, à réagir si sa rééducation est médiocre, etc. La finalité de l’intervention étant d’améliorer la fonction du patient, l’échec est prévisible en l’absence d’observance post-opératoire. Il faut donc lui rendre le grand service de ne pas l’opérer. Cette inobservance, souvent détectable avant l’opération, peut survenir en raison de lourdes contraintes dans le cadre de la vie personnelle et professionnelle. Il peut s’agir également de personnalités peu enclines à suivre des consignes. Les problèmes flagrants d’hygiène et de soins dans la présentation initiale du patient sont également en jeu. Ainsi le candidat à l’intervention représente un acteur à part entière de la situation. Il forme ainsi avec le chirurgien une véritable équipe dont la cohésion est indispensable pour la guérison.